Avec le temps, les choses apparaissent à la fois plus claires et plus complexes. Un peu comme si les années passées dans l'alcool et la drogue se révélaient sans pour autant rien offrir comme explication logique à cette folie. La prison l'avait sevré violemment. Les premières semaines, il hurlait des heures entières, subissant les punitions des gardiens et des autres détenus comme un zombie. Garder le silence, rester à sa place, jamais il n'aurait pu. Il était en manque, salement amoché par la poudre blanche et plus encore par cette absence soudaine de cette fidèle maitresse. Dans ses errances, il avait même faillit se taillader les veines avec le bord métallique de sa couchette. C'était un peu comme attendre la mort sans que jamais elle ne daigne venir accorder un seul regard à cette pauvre créature. Felix se souvenait encore de la souffrance cinq ans après... Et pourtant. Pourtant, récemment, il avait presque été tenté de replonger. Certains de ses nouveaux "amis" n'étaient pas des anges et ignoraient ce dont cette saloperie était capable. Lui il savait. Il voyait encore le regard fou de son meilleur ami et puis la vie qui s'envolait lentement, laissant dans son regard surprise et peur. Malgré le temps écoulé, Felix ne parvenait vraiment pas à oublier. Il était coupable et même si c'était un accident, jamais il ne se pardonnerait. Et il en voulait aussi à Josh, d'avoir décollé au point de faire déraper les choses : il était mort par sa propre main en quelques sortes. Entrainant avec lui le grand frère de Felix et un secret qui jamais n'aurait du ressurgir.

Encore un peu barbouillé, le jeune homme se leva. Les souvenirs le rendaient à moitié fou, incapable de dormir. Et penser était si douloureux qu'il cherchait tous les moyens pour mettre son esprit en veille. Mais c'était impossible. La mort, la daupe... Becks. Tout ça était inoubliables. Sortir, avancer, sourire aux passants. Discuter avec son cousin... Ces gestes quotidiens étaient torture et salvation à la fois. Le médecin lui jeta un regard atterré lorsqu'il entra dans son bureau. Jetant un oeil à la fiche que la secrétaire venait de lui remettre, il haussa un sourcil. "Monsieur Connigton, pas besoin de vous assoir, vous savez que je ne peux pas vous donner de somnifère..." Bien sûr que si, il pouvait, mais il ne le voulait pas. Ce type était un sadique, il ne voulait pas que le sommeil fasse un peu oublier à Felix ce fameux soir. Crispant les doigts sur le dossier de la chaise, il hocha la tête et sorti. "Essayez peut-être des tisanes..." Haussant les épaules, le natif de Perth grimaça un sourire moqueur. Il avait hâte de sortir de cet hôpital. Sur les marches dehors, il percuta quelqu'un, s'excusa et poursuivi son chemin. Ce n'est qu'en entendant une voix familière qu'il se retourna.

Chris s'était levé de bonne heure ce matin, mais pas du bon pied. Il n'avait pratiquement pas dormi de la nuit, obnubilé par le besoin de plus en plus présent de boire. L'alcool avait été son meilleur allié, mais aussi un ami traitre et fatale. Après deux ans d'abstinence totale, il refusait de croire qu'il était capable de craquer, et pourtant lorsqu'il avala son jus d'orange habituel, il ne put que regretter l'absence de rhum, sa boisson favorite. Ses problèmes avaient commencés assez tôt, alors qu'il n'était qu'un ado adulé dans le gang des LA18. Fils d'alcoolique et maltraité, le jeune homme avait suivit un groupe de délinquant, s'enfonçant petit à petit dans l'infernale spirale de violences et de drogues. Bien qu'il ait quitté tout cela il y a plusieurs années, ses addictions et ses crimes étaient gravés en lui à jamais, refaisant surface de plus en plus souvent, détruisant la vie qu'il essayait tant bien que mal de construire.
Sur les nerfs, Christopher décida d'aller marcher, histoire de décompresser. L'air frai du matin lui faisait rosir les joues, c'en était revigorant. Il songea à sa fille, qu'il ne voyait pratiquement jamais. Cette dernière n'était même pas au courant qu'il était en vérité son vrai père, et s'était sans doutes mieux ainsi. Les blessures qu'il avait infligé à son ancienne compagne étaient irréparables et honteuses; il se haïssait pour cela et craignait d'en faire de même avec Lucie. Penser à cette dernière était aussi dur que bon. Dur, car il n'avait pratiquement aucun lien avec elle, bien qu'elle soit la personne la plus importante à ses yeux. Bon, par ce que malgré la douleur, il savait que si il ne replongeait pas, c'était uniquement pour elle.
Sans s'en rendre compte, l'américain se dirigeait vers l'hôpital. Habitué des lieux, il aurait pu avoir un pass VIP tant ses visites étaient nombreuses. Aussi casse cou que bagarreur, il s'y rendait pour diverses raisons: points de sutures, replacements d'os... Il jeta un coup d'œil à son poignet, qui arborait virilement la vielle devise de son ancien gang « N'importe ou, n'importe quand, n'importe comment ». A l'époque, il parlait de tueries, de traitres, de fusillades... Mais bien loin de ces bêtises, Chris ne supportait plus ce tatouage, qui lui renvoyait en pleine face face la triste réalité de son passé. * Puisque je suis devant l'hôpital, autant me renseigner pour le faire retirer *songea le jeune homme. Il grimpa les marches quatre à quatre, mais ne pu atteindre la porte principale sans se faire bousculer par un passant pressé. Lorsque ce dernier s'excusa, Christopher se retourna, reconnaissant la voie de son ami Félix.

-Hé mec, tu dis plus bonjour aux vieux potes ? Ça fait un bail, dis donc !s'exclama t'il en souriant.

Félix était un ancien toxicomane, qui avait quelques années de prison derrière lui. Si Chris ne connaissait qu'une toute petite partie de son passé, il savait néanmoins que son ami n'avait pas que de bonnes actions à son palmarès.

La nuit avait été difficile et ce crétin de médecin ne semblait pas le comprendre. Tant pis, Felix connaissait un tas d'autre moyen pour se fournir un tas de médocs. Pour une fois qu'il avait voulu faire les choses dans les règles, il s'était bien fait baisé. Et malheureusement pour lui, c'était comme si la fraude lui courrait après, comme s'il ne pouvait rien réussir sans se mettre en marge des règles. C'était excitant mais en même temps, il avait déjà fait bien trop de conneries pour en rajouter... Quoique. L'idée de braquer une pharmacie lui trotta dans la tête tant son crâne était douloureux. Les souvenirs mettaient ses neurones à vif, un peu comme brûlés au fer rouge. Seulement voilà, la petite part encore raisonnable du jeune homme refusait catégoriquement de faire des conneries. Et puis, sa partie sensée était totalement dégoutée de la prison. Sans Matt, jamais il n'aurait survécu là-bas. Et s'il y retournait, Felix n'était pas du tout sûr qu'il s'en tirerait aussi bien. En réalité, si ces deux parties de lui résistaient à l'envie de pécher par facilité, le sale gosse en lui rêvait de recommencer, seulement l'image obsédante de Josh était un très bon moyen de dissuasion. En serrant les dents, il quitta l'hôpital. Son meilleur ami était mort. Il ne reviendrait plus. Jamais. Aucune chance. Et cette fatalité rendait le natif de Perth nerveux. Sans son pote, il n'avait plus personne pour surveiller ses arrières et pire encore, sans son grand frère, celui qui l'avait toujours protéger, il était sans repère, sans modèle. Seul. Son oncle avait beau essayer de lui remonter le moral, lui qui était sur son lit de mort, rien n'y faisait. Ce fameux jour, le monde de Connigton s'était effondré et avec lui l'espoir d'être vraiment heureux, d'une façon ou d'une autre, illégalement ou non. Sa conscience resterait à jamais marquée par cette histoire et la peur qu'une erreur ait mis en danger sa soeur... Non, ça, il ne pouvait même pas y penser. Quand une voix familière le sortit de sa rêverie, il faillit manquer une marche et fit volte face. Chris. Ils ne se connaissaient pas depuis longtemps mais Felix avait appris à apprécier ce mec tatoué et beau parleur. Tout comme il avait appris à s'en méfier. C'était comme viscéral, le jeune homme savait que ce gars l'entrainerait un jour où l'autre là où sa conscience refusait d'aller : le passé. "Hey ! Dude ! Ouai, ça date... Qu'est-ce que tu fais dans l'coin ?" Felix tendit son poing en avant et hocha la tête. Chris était un bon ami, même si c'était pas une bonne relation, au moins, il connaissait la galère, sauf que lui s'en était apparemment bien tiré jusque là. "Tu viens te faire refaire le nez ?", il eut une moue moqueuse, entre eux, l'humour vache était un peu une tradition.