Gabin avait lourdement insisté, quand les médecins avaient diagnostiqué une simple grippe, pour que Duncan passe des examens plus approfondis. Il avait fait des recherches, disait-il, et il arrivait souvent qu’on ne diagnostique qu’une grippe alors qu’il y avait quelque chose de plus grave en réalité. Le journaliste n’avait pas opposé de grande résistance. Il avait accepté les examens surtout pour rassurer celui qui partageait sa vie. Toutefois, lorsque le médecin avait appelé en leur demandant à tous les deux de venir, Duncan avait senti son cœur se serrer. Il n’aimait pas ça. Déjà quand il faisait ses études, il n’avait pas peur des épreuves, mais les résultats lui faisaient faire des crises d’angoisse.

Debout dans le couloir de l’hôpital, ils attendaient le docteur depuis presque deux heures. Lorsque l’infirmière était venue, trois quarts d’heures plus tôt, leur annoncer qu’il avait eu une deuxième urgence, Gabin avait fulminé. Pour le moment, il était descendu fumer sa clope en pestant. Duncan ne l’avait pas suivi. Il était tétanisé par la peur. Les bras croisés, une main relevée à son menton, il faisait les cent pas en triturant son chapelet de jais et de perles noires, seul souvenir de son père en dehors d’une Bible usée. Dunc’ avait toujours été proche de Dieu, surtout quand il avait peur. Les yeux rivés sur le sol, il arpentait le couloir comme une âme en peine, perdu dans ses pensées.

Lorsqu’il entendit une voix, il leva la tête, pensant qu’il s’agissait du médecin. C’était un couple en larmes qui sortait d’une chambre, immédiatement rejoint par trois enfants qui étaient restés en dehors de la pièce. Dunc’ sentit une boule se former dans sa gorge. Il était terriblement angoissé et cela n’aidait pas à son état de fatigue. Il avait passé les deux dernières nuits à vomir, empêchant tout le monde de dormir. Orson, qui s’inquiétait pour son maître, se levait constamment de son panier pour venir le câliner quand il reprenait son souffle, assis contre les toilettes. Gabin, quant à lui, ne faisait même plus mine d’aller se coucher. Il restait assis au bureau de Duncan, la porte ouverte pour entendre le moindre son. Soit il faisait des recherches, soit il travaillait, mais Gabin ne pouvait plus rester inactif.

Duncan était attristé de devoir faire vivre un enfer à son petit ami. Il était sûr que ce n’était rien et, même s’il trouvait ça normal, il était embêté de voir Gabin se mettre dans un tel état. Alors qu’il pivotait pour repartir dans l’autre sens, il entendit l’ascenseur et vit son amant en sortir. Il ne se précipita pas dans ses bras. Il continua simplement à faire les cent pas, les yeux rivés sur le sol, embrassant doucement son chapelet. Il avait prié. Il avait même cru entendre Gabin prier, ce qui n’était pas du tout son genre. Duncan remettait toute sa confiance en Dieu. S’il devait lui arriver quelque chose, quoi que ce fût, ce serait pour une bonne raison. Le journaliste croyait de toute son âme que rien n’arrivait jamais par hasard et que, lorsqu’on traversait une épreuve, c’était toujours pour en tirer une leçon.

En passant devant lui, Duncan leva le regard vers Gabin. Il n’osa pas le regarder directement dans les yeux. Il vit l’inquiétude sur le visage de son amant. Tout dans son attitude trahissait l’angoisse de Gabin. Personne d’autre que lui n’aurait pu le remarquer. Il fallait être un fin connaisseur pour déchiffrer les émotions de Gabin McGowan. Le journaliste baissa à nouveau la tête et reprit sa ronde dans le couloir. Plus le temps passait et plus son cœur se serrait. Il imaginait qu’il devait en être de même pour l’homme qui partageait sa vie.

« Le médecin vous recevra dans un petit quart d’heure Monsieur Burnett. »

La voix le fit sursauter. L’infirmière repartait déjà après avoir jeté un regard noir à Gabin, avec qui elle avait eu un petit accrochage à leur arrivée, lorsqu’elle leur avait annoncé que le médecin en question était déjà occupé ailleurs. Duncan se dirigea vers Gabin et lui prit la main, toujours incapable de le regarder. Il ne voulait pas y aller. Il ne voulait pas savoir. Il était épuisé et voulait juste rentrer pour se reposer. Il lança un regard implorant à son petit ami avant de reporter son attention sur le sol.

Lorsque Gabin l’attira contre lui pour l’installer sur ses genoux, Duncan se laissa faire sans rien dire. Ce contact lui faisait du bien. Depuis qu’ils étaient arrivés, quelques semaines plus tôt, il se sentait incroyablement seul. C’était peut-être pour ça qu’il avait refusé aussi violemment les propositions de Gabin d’aller voir un médecin. Il ne s’inquiétait pas et avait souvent répondu à son petit ami que, de toute façon, personne ne l’attendait plus. Mais à présent il se rendait compte. Il comprenait que s’il se trouvait tout seul, c’était parce que son amant faisait tout pour lui rendre la vie plus belle, pour qu’il puisse tout acheter. Mais le temps, ça ne s’achetait pas et Dunc’ voulait en passer avec Gabin.

« Ca va aller… » dit la voix de son petit ami à son oreille.

Les yeux perdus dans ses pensées, Duncan hocha lentement la tête, en silence. Il savait que Gabin disait ça pour tenter de les rassurer tous les deux. Parce que, certes, Gabin était fort et avait un caractère bien trempé, mais il n’en restait pas moins un homme au cœur tendre et aux blessures mal refermées, qui craignait de perdre ce qu’il aimait. Il se laissa faire lorsque Gabin l’allongea tant bien que mal sur ses genoux. Cette fois, au lieu de perdre son regard dans le vague, il le plongea dans celui de son amant. Ce qu’il y vit lui fit mal. Gabin s’inquiétait réellement et personne ne pourrait le rassurer, pas même lui. Son petit ami le serrait contre lui comme s’il avait peur de le voir s’en aller.

« Je suis là mon amour… » dit-il.

Gabin déposa un baiser dans ses cheveux puis lui embrassa le cou. Duncan l’entoura de ses bras et posa sa tête sur l’épaule de Gabin. Son pouce caressait de façon régulière le chapelet qui serpentait entre ses doigts. Il s’en remettait désormais aux trois personnes à qui il avait décidé de confier sa vie : Gabin, Dieu et Orson. Il ne se sentait en sécurité que près d’eux. Lorsqu’il serrait la main de Gabin, il se sentait puissant. Lorsqu’il priait Dieu, il se sentait invincible. Lorsqu’il était avec Orson, il se sentait incroyablement serein. Il n’avait besoin que d’eux dans sa vie mais un seul était essentiel à son équilibre. Son petit ami était tout ce dont il avait besoin. Il n’attendait rien d’autre de la vie.

« Je suis sûr que ce ne sera rien… » chuchota-t-il, plus pour se rassurer lui-même.

C’était étrange quand même. La vie pouvait être bien farceuse parfois. Gabin et lui étaient conscients qu’il y avait de grandes chances que ce ne soit rien, et pourtant ils semblaient persuadés que Dunc’ allait mourir. Le cœur serré, il se leva lorsque l’infirmière revint les voir pour leur annoncer que le médecin allait venir les chercher. Il ne put attendre et se précipita vers les toilettes les plus proches. Il rendit le maigre petit déjeuner que Gabin l’avait supplié de prendre. Il resta penché au-dessus des toilettes pendant un petit moment. Finalement, il se releva, tira la chasse d’eau et alla se laver les mains et se passer de l’eau fraîche sur le visage. Il avait peur. Il avait beau se répéter que ce n’était rien, les kilos en moins, les nausées, la fatigue, tout ça n’avait rien de naturel.

Il se racla la gorge, remit un peu d’ordre dans ses vêtements et ses cheveux puis sortit des toilettes. Il était pâle. En cet instant précis, Orson lui manquait plus que de raison. Il avait envie de caresser ses poils chauds, de sentir son souffle malodorant contre sa peau et même quelques léchouilles ne le dérangeraient pas. Il retourna auprès de Gabin, entrelaça ses doigts aux siens et lui adressa un sourire d’excuse. Ils emboîtèrent le pas au médecin, le cœur lourd et la tension à son comble. Alors qu’ils marchaient, Duncan lutta pour empêcher ses larmes de couler. Il devait se montrer fort pour Gabin. Alors il prit son air le plus décontracté.