Heureusement, j'ai eu la chance de ne pas naître avec un cheveux sur la langue. Vous imaginez un peu ? J'étais mignonne certes, mais Clizzta Lyzza Brownzz c'est pas aussi chantant à l'oreille, pas vrai ? Et puis que serais-je devenue sans cette vénération qu'éprouvait ma mère à mon égard ? J'étais sa petite perfection, son ange tombé du ciel. Sans mentir ? j'en ai abusé sans vergogne, j'ai joué avec sa passion maternelle comme un véritable petit diable. A l'époque, j'étais bien plus turbulente qu'aujourd'hui et il était rare que je rentre de l'école sans les genoux écorchés et les mains sales. Catastrophe ambulante pour les surveillants, j'étais la coqueluche des autres élèves et surtout de mon instituteur, un homme souriant au cheveux poivre et sel, à la peau tannée par le soleil de Floride. Je me souviens que du haut de mes sept ans, j'idolâtrais chacun de ses mots, doux comme une musique à mes oreilles. Chaque lundi, il déclamait des poèmes ou nous entraînait dans des scènes burlesques folles. A l'époque, j'ignorais totalement combien cet homme, figure sage à mes yeux, m'apportait. Si seulement j'avais pu comprendre que ces trois ans d'enfance allaient être les plus doux de mon existence. Et puis surtout, que sans lui, mon bon professeur, jamais je ne serais devenue telle que je suis. Parce que oui, c'est sous sa tutelle bienveillante et ses regards attentifs que j'ai grandi. Il m'a vu tomber à la naissance de mon petit frère puis me remettre. Il m'a aidée à aimer cette concurrence et m'a apaisée lorsque mon père est partit pour ne jamais revenir. Il m'a regardé jouer avec les émotions et mentir avec passion, il m'a vu devenir actrice de ma vie. Et c’est lui qui m'a sortie de ce cercle vicieux en m'inscrivant à un cours de théâtre.

Même alors qu'étaient finies les années futiles, lorsque j'ai quitté l'école pour le collège, jamais il ne m'a abandonnée, fidèle au poste. Presque trop présent aux yeux de certains, il était mon repère, mon ange gardien. Grâce à lui, j'ai choisi la littérature, j'écrivais des poèmes puis m'amusais à les chantonner pendant qu'il jardinait. Malgré tout son amour, ma mère ne pouvait pas m'aider dans mes devoirs, dès son plus jeune âge, elle avait dû travailler et abandonner l'école. Son espoir le plus fou, elle l'avait centré sur moi. Et c'est grâce à cet homme que ce rêve maternel allait se réaliser : l'université. Nous étions à deux doigts d'y arriver, tous ensembles mais ce serait bien trop facile non ? En un mois, un seul, le monde parfait dans lequel je vivais tomba en morceau. J'avais tout juste 18 ans et mon petit frère que j’adorais 8 et l'Université de Floride me tendait les bras. Mais, deux jours avant mon départ, on lui diagnostiqua un cancer du foie, il était trop tard pour faire quoique ce soit : sauf pour mon professeur tant aimé. Il risqua tout pour nous, donnant son organe compatible. A l'abris de la mort, mon cadet allait vivre avec l'ombre de la rechute, dans mon esprit, ce n'était rien, IL serait là pour veiller. Effondrée, une semaine plus tard par sa mort due à une infection, je sombrais dans la dépression plus d'un an.

Malgré ça, j'étais une battante et je jurais de faire en sorte que ce sauveur qui avait donné son temps pour moi et sa vie pour mon frère serait le moteur de mon combat et de mes rêves. J’entrais à l'université et trois ans plus tard, j'étais brevetée en littérature anglaise. Ce soir-là, j'avais fêté mon diplôme sans retenue, c'est alors que je croisais la route de mon cauchemar ambulant. Il était plein de colère et de dédain, j’étais encore trop innocente. Malgré ma rage à me débattre, il parvint à ses fins. C’était comme si mon corps ne m’appartenait plus, comme si toutes ces épreuves avaient ruinée celle que j’étais. Mon esprit lui-même se sentait violé. Jamais je ne m'en serais remise sans une dernière intervention de mon Ange Gardien. A 23 ans, je recevais un paquet épais comme un dictionnaire, il contenait une lettre et un énorme journal intime. Celui de mon grand-père, un suisse qui avait tout fait pour faire passer des familles juives, des homosexuels et des tziganes en terre neutre. Ces lignes me ramenèrent à la vie, je quittais tout pour débarquer en Australie où j’avais retrouvé la trace d’une famille sauvée par mon aïeul. Gold Coast est ma demeure depuis presque 2 ans à présent. J'ai suivi la piste de mon ancêtre et recherche son dernier secret : une amitié folle avec une jeune femme sauvée de la mort à la frontière. C'est peut-être insensé mais je voudrais retrouver les enfants de ces gens et peut-être entendre l'histoire que leurs propres ancêtres leur ont laissée et peut-être apprendre que l’amitié à bien des aspects. En attendant, je n'écris plus que des chansons, je bosse dans un bar et de temps en temps, je monte sur scène.

Grâce à ce voyage, j’ai peut-être trouvé une chemin vers la paix intérieure. La rencontre d'un jeune homme particulier. Malgré son âme de solitaire, j'ai appris à le faire sourire et rire. J'aime aussi ce mystère autour de lui, derrière ce mur de glace qu'il dresse entre lui et le monde, je sais qu'un peu de douceur se cache. Je sais qu’il m’attire irrésistiblement et qu’un jour, il trouvera peut-être une façon de soigner mon âme.