"Même pas t'en es capable !""Mais de quoi tu me parles toi là hein ? C'pas parce qu'on a couché qu'on va s'marier ... Allez Vany, s'te plait lache moi, j'ai plus de came.""Et toi de quoi tu parles hein ?J'en ai d'la came. Regarde sous l'oreiller."

Effectivement, il y avait de la came sous l'oreiller de Vanille-Charline. Il y a toujours de la came sous son oreiller, puisque c'est le seul endroit où selon elle ses parents ne fouillent pas. Quoi que les parents de Vany, hein, franchement ... Non, il ne voulait pas dire des choses méchantes sur ses parents. Le gamin de seize ans qu'il était devait juste fermer sa gueule, se redresser dans le lit et farfouiller pour trouver ses fringues et son briquet fétiche. Et ensuite éventuellement poser des questions intelligentes.

A seize ans et deuxième année de lycée en cours, la vie de Jay Stevenston ressemblait à ça. Un bordel dans non, un véritable capharnaüm dans un corps un peu maigre et déjà bien trop tatoué pour son âge. Mais les parents étaient à l'autre bout du monde dans un cirque ambulant et la grande soeur travaillait maintenant. Ses oncles et tantes vivaient trop loin pour le surveiller, et Jay était donc livré à lui même et entièrement libre de faire ce qu'il voulait. Sa soeur venait d'emménager avec un banquier et elle préférait ne plus le voir, persuadé qu'il était le stéréotype complet de l'erreur humaine. La maison lui appartenait donc entièrement. L'avantage était que tout les membres de sa famille versait tout les mois de l'argent sur son compte.

"Tu sais bien qu'on vit loin Jay ... C'est déjà assez dur pour ton oncle, avec ton cousin qui vient d'entrer à l'université ... Mais on te fera passer un chèque et on viendra l'été prochain !""Oui bien sur qu'on passera vous voir ta soeur et toi à Noël ! Evidemment ! Oh et ta mère a reçut pas mal de pourboires ces temps ci ! Alors on va aller à la banque te faire un virement, tu pourras t'acheter ce que tu veux !""Jay .... Je suis enceinte ... Tu vas avoir un neveu ! Alors, ça va être plus compliqué de se voir ... Mais je t'envoie de l'argent, promis. Michael a eu une prime alors je vais t'en donner un peu !"

Un compte en banque empli, des notes correctes au lycée, une amie pour passer du temps sous la couverture, des amis chez qui on pouvait toujours trouver de l'herbe, des pilules et de la poudre, bref, Jay menait la belle vie. Dès qu'il rentrait chez lui, il mettait la musique à fond comme pour faire une présence dans la maison désormais vide. La chambre de sa soeur était la seule pièce épargnée par le désordre constant. Avant, ses parents faisaient le ménage. Après, quand ils partirent en les laissant seuls, à onze et dix-huit ans, ce fut à son aînée de s'en occuper. Et maintenant qu'elle non plus n'était plus là, Jay se laissait vivre. Il faisait un minimum de vaisselle quand l'idée lui prenait, mais franchement, ce n'était pas son truc. Il n'était en même temps pas si souvent à la maison. Il ne comptait plus les matins où il se levait dans le lit d'une fille inconnue avant ce jour. Il partait en douce par la fenêtre. Vanille-Charline était la seule chez qui il restait, parce qu'elle était la plus cool des filles de sa classe. Elle n'était pas comme toutes ces coincées et elle aimait bien venir chez lui, elle. Chose à laquelle sa famille avait clairement renoncé, plus encore au fil des années.

"T'as déjà essayé avec un mec ?""Tu me demandes si je suis une tafiole ?" (1)"Nan, j'te demande si t'as déjà couché avec un homme.""... Non.""Tu veux tenter ? Adrian de la classe trois est bi, et j'tenterais bien dans le plan à trois."

Et le lendemain, après trois bonnes bouteilles de vodka et un pack de bière, Jay se réveilla chez Adrian, avec Vanille-Charline dans son dos. Non pas qu'il se sentait en pleine forme parce qu'il sentait des légères douleurs au niveau des fesses, Jay se prépara une barre de poudre blanche en guise de petit déjeuner et la sniffa avant de se recoucher pour profiter de la chaleur des draps. Ce fut la seule et unique fois avec Adrian, mais à partir de ce jour là, il tenta de nouvelles expériences. Désormais, peu lui importait sur la nature de ses partenaires. Fille, garçon, bof.

Et puis un jour.

"Tu sais que t'as un talent fou ?""De quoi tu parles ?""De toutes ces feuilles dans tes cahiers de cours. De tes chansons.""Eh rends moi ça ! Jenifer je déconne pas !""T'as déjà pensé à monter un groupe ? Avec ton jeu de guitare et ces chansons, ça ferait un malheur."

Exit la petite vie de lycéen ultra-lente et insupportable. Jenifer avait peut être raison. Agé de dix sept ans et doté d'une personnalité ingérable, Jay n'avait pas envie de rester anonyme. Et puis Jenifer le poussait sans doute un peu. Elle, elle carburait à l'héroïne. Seule drogue que Jay n'avait jamais tenté et ne tenterait sans doute jamais. Pendant un bon moment, il l'écouta. Il ne couchait plus avec des autres qu'elles et il écrivait, constamment, avec une cigarette aux lèvres. Suivant ses conseils, il fonda un groupe. Mais ça n'alla jamais plus loin.

A la sortie du lycée, Vanille-Charline s'exila en Europe, sans lui. Elle était en colère sans doute, mais il s'en moquait. Tout le monde finissait par le délaisser de toute manière. Lui passa l'été de ses dix huit ans dans les boites de nuit ou les soirées diverses et plus que louches. Jenifer payait la drogue en sa qualité de fille de bonne famille et lui payait l'alcool. Et tout semblait très bien aller. Ils passèrent deux mois très haut placé dans l'atmosphère. Son batteur se cassa, la seconde guitare le suivit et la bassiste ne tarda plus. Jenifer et Jay se retrouvèrent tout seul mais à ce moment, ça n'avait plus grande importance. Puisque tout allait bien entre eux, rien ne devait changer.

"Tu déconnes ? J'espère que t'es sérieusement en train de déconner Jen ? Si c'est une blague je t'assure que c'est pas drole ... J'suis en pleine descente là, je commence à me sentir mal ! Il faut que tu viennes ! ... Non ! ... Non, je, non ! Allez arrête, c'est ... Jen ... S'te plait, j'ai besoin de toi ! JEN ! Raccroche pas ... Raccroche pas putain, j'suis en train de crever ! C'est ce que tu veux ?"

Et elle est partie. Loin. Très loin en Amérique. Et lui ... est parti aussi. Mais moins loin. Sidney n'avait plus rien d'attirant pour lui. Il prit sa guitare sur le dos, acheta un appartement avec l'argent que sa famille continuait de lui envoyer, et se tira jusqu'à Gold Coast. Il avait le souvenir que sa deuxième guitare était parti là bas, elle aussi. Ca vallait peut être le coup. Il resta clean deux jours le temps de s'occuper de toutes les administrations de changement d'adresse et d'école. Mais l'appel de la drogue devient trop violent pour son pauvre petit corps tout faible et il rechuta. Il n'avait jamais espéré pouvoir s'arrêter de la sorte, mais le manque s'était fait trop fort. Quelque part, il était clairement dépendant.

"Ecoute Jay, ça devient compliqué pour moi ici, je ... j'attends des jumeaux ... Alors ça serait bien que tu te trouves un job histoire de ... enfin tu sais, de payer tes faux-frais. Je peux pas continuer à t'envoyer autant d'argent. On se voit aux vacances ?""Jay, après la mort de ton oncle, je ne peux plus continuer à te faire un chèque tout les mois. Je t'embrasse, ta tante."

Et tout avait peu à peu basculé dans la vie réelle. Jay n'avait jamais pris pleinement conscience qu'il était seul au monde. A part sa guitare, il n'avait rien pour lui. Et un peu de son talent de compositeur, mais ça, de nos jours, qui voudrait de lui ? Personne. Sauf Reed, peut être. Quoi que. Au moins, il le faisait bosser, c'était déjà ça. Sans aucune qualification, des études en cours, un réel problème d'argent et de drogue et surtout tout à perdre, il avait beaucoup de chances de croiser quelqu'un comme lui et son Underground. La seule personne qui croyait un peu en lui, au moins. Il y en avait au moins une, c'était déjà ça.

Gold Coast était ... bizarre et étrange. Et surtout étrange. Jay savait qu'il ne savait pas tout sur ce qu'il croyait savoir, mais il ne voulait surtout pas que l'on sache ce que lui seul savait sur lui. Il ne lui restait que sa guitare, sa troisième année bientôt achevée et donc ces études terminées, son boulot qui lui rapportait de quoi payer son loyer et son addiction à Madame Poudre Blanche. C'était la seule drogue qu'il prenait encore. L'herbe était trop basique et les pilules trop coûteuses. Ca réduisait également ses frais.

"J'te produis si tu veux."" ... Mais ouais c'est ça. Reed, j't'aime bien, mais franchement ...""Arrête de boire Jay. Et arrête la drogue aussi. Et peut être qu'on pourrait faire quelque chose de toi qu'est ce que t'en penses ?""T'es en train de me proposer de faire de moi une star du rock ?"

Ouvre les yeux Jay, disait une petite voix dans sa tête. Les contes de fées, ça existe pas et les princes charmants non plus. Ca fait longtemps qu'il avait arrêter d'y croire. Mais bon ... peut être que ... Ca serait bien tout ça.

(1) Je précise au passage que ce passage n'est pas dirigé comme une insulte aux homo et qu'il n'y a rien d'homophobe dans ma fiche. Je ne le suis pas, j'utilise juste cette expression à un moment. Si ça gène, je peux l'enlever.